La défense à travers une seconde peau musculaire

Publié le par Duddies

 

     On connait bien le symptôme d’activité paradoxale de l’anorexie, qui manifeste une boulimie d’activités physiques ou intellectuelles la conduisant parfois à tomber d’épuisement. Je pense qu’on peut rattacher ce phénomène à ce que Esther Bick et Didier Anzeu ont appelés le phénomène de ; formation d’une seconde peau musculaire. Les auteurs soulignent la chose suivante : lorsque le bébé, pour diverses raisons, n’arrive pas à introjecter la fonction contenante de la mère, il va se défendre en s’investissant à travers un objet ou une sensation-lumière, voix, odeurs- ou alors, par la formation d’une seconde peau musculaire, qui serait peu ou prou l’équivalent corporel d’un faux-self. Cette seconde peau-musculaire correspondrait à ce qui, au niveau du visage de l’anorexique, se traduit pas la sensation de porter un masque- sorte de support corporel à l’image du faux-self.

J’ajouterais l’idée que cette seconde peau-musculaire (proche de la cuirasse musculaire décrite par W. Reich) est associé à des phénomènes de maîtrise anale. Elle apparaît aussi comme une défense contre  des angoisses de pénétration ou d’intrusion des projections voire de l’emprise de la sexualité ou des idéaux adultes. Elle se rattache à une tentative d’animation, voire d’érotisation du corps. Elle tend à pallier le sentiment d’un corps dont les parties sont peu reliées entre elles, un corps qui a du mal à assimiler les messages ou les aliments venus de l’extérieur. Elle représente également une défense contre l’image d’un corps dysharmonique, voire monstrueux par l’assemblage étrange des diverses parties qui le composent. Ajoutons que cette seconde peau-musculaire peu prendre une signification phallique. Mais ce phallicisme ne se rapporte jamais uniquement à l’angoisse de castration ; il est sous-tendu par une angoisse proche de la pénétration, du morcellement, de l’effondrement et du vide. La patiente dont je parlais plus haut manifestait, au moment même où sa défense par l’illumination chancelait sous l’effet de sa prise de poids, une tentative de se former une cuirasse musculaire en pratiquant des exercices physique compulsionnels, afin de se muscler le corps et de se le représenter en mouvement continu, élancé, voire en état de lévitation ; la vision peut être également celle d’un corps muni d’une armure de chevalier médiéval. (Le père, qui avait du faire face à la dépression maternelle, était manifestement présenté comme quelqu’un de « droit », d’intègre, de « chevaleresque ».)   Tout se passe comme si la défense, à travers une seconde peau musculaire, prenait le relais de la défense par l’illumination au moment où le corps prend du poids. Conjointement était apparu des fantasmes de dislocation corporelle, en raison d’une angoisse de la pénétration, ainsi que la recherche d’un reflet dans un double narcissique ; la sœur cadette de la patiente était considérée comme sa sœur jumelle. La formation de cette cuirasse ne peut être uniquement associée à un « défaut d’introjection de la fonction contenante de la mère » ; elle est également associée, sur fond de ce défaut, à une crainte de pénétration violente mettant en danger l’intégration du corps et du pénis paternel. La prise de poids (maintenant associé à un inceste oral avec le père) suscitait la formation de cette cuirasse dans le but de préserver les autres orifices corporels, notamment le vagin, d’une pénétration « explosive » et mortifère. Enfin, il faut se demander si le souci de se créer une peau-musculaire, ainsi que l’activité musculaire paradoxale, qui s’y associe, ne remplace pas les mécanismes de rétention anale, si importante chez l’anorexique en période de restriction alimentaire.  Le pôle actif du stade sadique anal, représenté par l’activité musculaire, se renforcerait, telle une tentative contre les fantasmes de pénétrations anales passives dont la recrudescence est favorisée par la prise de poids.

Vladimir Marinov, Anorexie, addictions et fragilités narcissique, Petite bibliothèque de psychanalyse, PUF, 2001, pp.44-46

Publié dans Psychanalyse

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